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Saint-Maur et ses écritures monumentales

Le dessin de Saint-Maur rencontre l’architecture
Argenteuil 1974

Ecritures monumentales dans la cité nouvelle d’Argenteuil -1974
Artiste SAINT-MAUR (dessin et habillage en Polybéton)
Architecte Roland Dubrulle, assistant Guglielmi

Le projet initial pour lequel Saint-Maur avait été contacté devait être une sculpture monumentale. Le thème d’Héloïse et Abélard s’imposait par l’histoire même d’Argenteuil.

Ce projet autour d'Héloïse et Abélard, qui avait enchanté Saint-Maur, n’aboutira malheureusement pas mais celui dont la capacité à concevoir son art et à le réaliser aux dimensions monumentales était reconnue depuis plus de 40 ans (n’oublions qu’il fut le Président fondateur de l’Association de l’Art Mural dès 1935 et l’initiateur de la loi sur le 1% aux artistes dans la construction), se vit  toutefois confier la décoration du piédestal d'une sculpture qui fut commandée à un autre artiste. 

Comme il restait de l’argent sur le budget dédié au 1%, et pour que Saint-Maur ait tout de même une commande conséquente, à la hauteur de son talent et de l'énergie déployée dans cette entreprise, il hérita de la décoration de la « pataugeoire » et surtout des blocs d’accès au parking.

S’agissant d’identifier les sorties de parking par des sigles et un code couleur récurrent, la réalisation finale de Saint-Maur proposait une œuvre monumentale. Les dessins qui habillent les sorties de parking en béton sont extraits de la série des « Anges ». Ils ont été réalisés avec du Polybéton blanc et du Polybéton coloré dans la masse, orange et brun.

Ces écritures sont majestueuses et gracieuses. Idéogammes ou silhouettes, elles apportent un plus de douceur et d’humanité dans ces barres de béton.


ill. de gauche : dessin préparatoire « au 10 » pour report sur les blocs

                         ill. de droite : réalisation en Polybéton coloré dans la masse


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Sur cette maquette préparatoire on voit bien les différentes parties qui seront colorées ainsi que la partie extérieure qui sera un bac à sable.

SAINT-MAUR et Sonia BRANGLIDOR


J’ai connu Saint-Maur quand j’avais quinze ans,
           et pour le faire connaître, je vais essayer de dire ce que j’ai ressenti.

Je n’étais pas « cablée » sur l’art, envie de faire des choses avec lui dans ce grand bateau où il était présent aux autres, tellement lui-même aussi (vivant, jeune), donc partager des choses très simples et quotidiennes (parler, boire du punch, jouer …)

Déjà cela m’a appris beaucoup sur l’art :

1.      un artiste n’est pas coupé de la vie
2.     un artiste laisse d’abord vivre, pousser les choses autour de lui, présent, attentif, et dans les choses
3.      tout ce qu’il sentait de force de vie dans quelqu’un, même force
   qu’il sentait dans l’univers, les formes, ce sur quoi il travaillait,
   comme des gens qui passent, dansent, des regards, des gestes,
                          des sourires qui demeurent, qui s’enfuient

·         Il aimait les gens jeunes, les choses qui bougent
·        Il n’était pas patient (il n’aimait pas les gens lents, qui ont du mal à bouger leur cœur, leur corps, leur esprit)
·        Il a toujours eu entre 16 et 20 ans pas nostalgique de sa jeunesse mais il n’avait pas quitté ce moment magnifique et précieux où on n’est jamais sûr, où il n’y a pas d’autre continuité que le désir qu’on a des choses. Le désir a beaucoup porté son art

Artiste au sens où il l’était : se laisser traverser par les choses sans se laisser envahir (pas facile)

Artiste du mouvement : il laissait de grands espaces pour rêver, pour que ce soit possible

Il aimait les gens qui vont jusqu’au bout d’eux-mêmes (seul risque qui vaille la peine d’être pris, alors il pensait qu’il avait quelque chose à apprendre)

Il ne croyait pas aux confidences, aux pleurnicheries, aux regrets ; il croyait qu’il faut faire ce qu’on a envie de faire, et ce n’est pas grave si ça s’accompagne de regrets ou d’échecs

Artiste et Homme de l’avant : il se pensait toujours dans la réalisation de ce qu’il n’arrivait pas à faire et qu’il cherchait infiniment

C’était quelqu’un de vivant, qui vous donnait envie de vivre, de continuer (on repartait avec quelque chose, on ne sait pas quoi). Il vous enlevait l’envie d’être triste, vous donnait envie de commencer de faire des choses (sans donner conseil, ni corriger avec une bonne morale cathéchisante et culturelle). On repartait en ayant appris que les chagrins … s’inscrivent aussi dans l’espace.

Saint-Maur, c’était surtout de l’amour et de la vie - sans quoi il n’y a pas d’art

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Esquisse

Saint-Maur : petit, toujours en état d’ébullition, d’une coquetterie incroyable, jouant de tout à fond, se jouant à fond.
Il faut imaginer un p’tit bonhomme, avec un regard très très aigu, plein de soleil et de passé, qui vous questionne et vous pique comme un plat pimenté, plein de refus aussi, il est toujours resté un jeune homme en colère, toujours expliquant pourquoi, comment, il ne faut pas se gâcher soi-même, sur le fil de lui-même. Il donnait envie de créer, de faire, quoi que ce soit, faire quelque chose de soi-même.
Il faisait toujours des choses (il aimait bien ce mot : « des choses »)            


Saint-Maur, c’est un artiste ailé, heureux de créer, qui ne se serait pas découragé de ce désert contemporain et de cette solitude qui nous prend maintenant quand nous parlons d’art.


                      A Saint-Maur : Bon soir !


Sonia Branglidor


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A celui qui a dansé la forme
Bonjour
A celui qui a laissé dans les bras refermés
De l’amour
La place pour penser ensemble
Bonjour
A celui qui rend perceptible le monde
Aux aveugles définitifs
Bonjour
Et pour la caresse au ventre dur
De la vénus enfin trouvée
Bonjour
A sa ligne vivante courbée
Au dessin infini de l’homme torturé
A son corps qui résiste
A ses yeux trop fragiles
Bonjour

Au sourd décidé de chasser les horreurs
Artiste assassiné par les incompétences
A ses contradictions, ses amours, ses errances
A ses heures du soir où il se sentait bien
A ses impossibles matins
A la pensée qu’il nous exige
A l’énergie, à la masse du temps, à la liberté
Si le vide était son combat
L’homme en était le souvenir
Et la tendresse vive
Des forces modernes
Qui le prolonge à l’infini
A Saint-Maur
Bonjour


Sonia BRANGLIDOR
Paris le 19.9.1983


Ce poème est paru dans les Cahiers de Poësie de Maurice Lestieux
 in n°15 (Hiver 1987 -1988) - Hommage exceptionnel à SAINT-MAUR

             Couverture du n° 15
                Page 2 du Cahier de Poësie n° 15

           Page 3 du Cahier de Poësie n° 15

Page 6 et 7 du Cahier de Poësie n°15
(texte et dessin de Saint-Maur)

              Page 8 et 9 du Cahier de Poësie n°15
              (texte de Sonia Branglidor ; dessin de Saint-Maur)

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Affiche pour une soirée dans l’atelier de SAINT-MAUR avec projection de films
de MÉLIÈS en présence de Madame Madeleine Malthête-Méliès, sa petite fille.
Ceci pour marquer le 80ème anniversaire de la naissance de SAINT-MAUR (1906-1979)


 

SAINT-MAUR et l'Ange


Si j’étais l’aile d’un Ange,
l’aile, duvet caparaçonné,
l’aile tiède ou coupante,
la porte ouverte ou fermée
d’un ciel infernal ou évident,
l’ouverture entrebâillée d’un destin,
la moitié visible de l’invisible,
je chercherais sans cesse l’aile-sœur.

A nous deux,
nantis des apparences,
nous irions en toute certitude
jouer à l’Ange des multitudes.

Saint-Maur "L'Art Vénusien" (1970 inédit)
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  L’Abbaye de Quincy
accueille les « Anges » de Saint-Maur (1906-1979)

 le grand tombeau blanc


Les Anges métalliques de SAINT-MAUR sont tirés d’un recueil de dessins intitulé l’Ange. Mais comment sont nés ces dessins dont la fluidité évoque la calligraphie et dont la forme rappelle les caractères chinois ?

SAINT-MAUR connaît bien l’histoire de l’art et il se trouve qu’il a vécu au Maroc et en Chine. Pourtant la genèse de l’Ange procède d’une lente maturation sur 25 ans. En 1971, alors qu’il est cloué sur un lit d’hôpital, il voit les murs de sa chambre s’habiller de lignes d’ombre et des idéogrammes se mettre à danser devant ses yeux. SAINT-MAUR remplit un cahier de dessins dans une nuit de fulgurance.

Pour s’abstraire des conventions propres à l’écriture, SAINT-MAUR élabore un alphabet personnel compréhensible par tous les peuples et pour donner plus d’ampleur à l’Ange, il réalise des sculptures en fer de grande dimension. Ces Anges ont été présentés sur le plan d’eau des Jardins de Drulon en Berry (2001), puis exposés dans le parc du Prieuré de Mayanne dans la Sarthe (2004). Ils furent également figurants pour le ballet de l’Ange, en Avignon et au TEP, avec les danseurs de l’Opéra de Paris.

La série des « Anges » a subi des ans l’irréparable outrage. Pas totalement irréparable, si l’on maîtrise les techniques adaptées, dispose du matériel et… de la place nécessaire. La commune de Cruzy-le-Châtel, dans une démarche culturelle et patrimoniale, a proposé aux ayants droit de SAINT-MAUR d’entrer en contact avec les artistes de la forge-musée Marlin-Veillet.

Ces derniers ayant accepté le challenge, les héritiers de Saint-Maur ont confié les œuvres à la municipalité dans le double but d’en conduire la nécessaire restauration à la forge, puis une fois les Anges ayant retrouvé leur superbe, de les exposer en un lieu idoine, digne et puissant. La forge, l’atelier de menuiserie sont des lieux typiques de l’histoire de l’artisanat français. Ils perpétuent, façons et traditions, justesse du geste, précision du coup d’œil.

Ainsi, c’est à double titre que la forge, grâce aux artisans qui l’animent (avec maîtrise et passion) participe à toutes les manifestations patrimoniales touchant la commune de Cruzy-le-Châtel. Dès les beaux jours, l’endroit s’anime, les projets sont débattus et les restaurations se succèdent avec bonne humeur et compétence.

Pour le lieu, nul n’était plus qualifié que l’abbaye de Quincy, qui, dans son écrin préservé de vallons, allie chaque année la modernité au charme indicible, mais combien captivant, de ses constructions.

     Yann Guyot - texte de présentation pour l’exposition de Quincy (été 2010)

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 Dans le prieuré de Mayanne (Sarthe) 2004

 Dans le prieuré de Mayanne (Sarthe) 2004
Dans le prieuré de Mayanne (Sarthe) 2004

 Les ailes de l’Ange -  prieuré de Mayanne (Sarthe) 2004

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Les  Anges de Saint-Maur



Tout est lumière. La matière la plus dense est lumière. Le noir même est lumière. La science moderne depuis Einstein sait cela, comme l’ont su bien avant elle, par expérience intérieure, tous les grands êtres d’esprit, des sages hindous aux mystiques chrétiens. La densité des formes, le spectre des couleurs, le seuil entre le visible et l’invisible, tout est question de fréquences lumineuses selon une gamme dont la source est la lumière blanche, vibration pure imperceptible aux sens physiques humains. 
Il y a en l’homme, à partir de sa base physique, un appel à s’élever, à toucher des fréquences de plus en plus hautes (jusqu’à l’extase, la joie, la béatitude), à être réabsorbé par la source de lumière, qui serait l’Amour que nous cherchons tous. L’homme est le lieu de cet appel, qu’il en soit conscient ou non. Cet appel est son voyage, un voyage vers son énigme, son joyau.
Avec la conscience vient l’intensité de l’appel, comme une nostalgie irrépressible de l’origine et  de l’avenir. C’est le point d’un seuil où, à l’appel qui monte, répond la première présence invisible qui descend : l’ange, flux de lumière qui guide l’homme au-delà et au-dedans de lui-même. L’ange est pour l’homme un médiateur, un passeur vers la rencontre de son âme.
 Les Anges de Saint-Maur sont le fruit d’une quête intime à l’artiste et sa tentative, pour nous, de faire signe vers l’ange en nous. Ces sculptures, de structure nécessairement imposante et aérienne (puisque l’ange est la première dimension du Ciel qui s’impose à nous, au commencement du retour à soi), ces sculptures sont des " écritures dans l’espace ". C’est-à-dire qu’elles ne sont pas, en tant qu’objets, leur propre but, mais signent et rythment le vide du ciel d’une certaine manière afin de nous conduire à éprouver en nous-mêmes la présence de l’invisible, la coulée d’énergie lumineuse dont nous sommes secrètement tissés. Il faudrait  regarder vraiment ces écritures, ces rythmes, s’en imprégner comme d’une musique, puis fermer les yeux, les laisser soudain s’effacer et suivre en soi, ressentir les sillages d’un silence. Car c’est du silence que naît la véritable vision, la promesse de lumière.
Chaque sculpture, chaque forme montre un visage de l’ange qui, essentiellement, est sans visage. Il y a l’ange qui indique la question, l’appel et le pas de l’homme; l’ange qui esquisse le couple intérieur masculin-féminin en chacun et chacune de nous, couple à partir duquel nous touchons l’unité de l’âme; l’ange aussi qui porte notre tombeau comme le symbole d’une transformation possible, au sein de notre existence même, du corps physique mortel en Corps de Gloire immortel. L’ange de la mort est l’ange de la résurrection. Il dit à l’homme, d’une voix qui ne s’entend que dans le lac du cœur, que sa naissance biologique n’est qu’une porte vers sa véritable naissance, la naissance à la souveraineté de l’âme.
Du point de vue de l’ange, mourir n’est qu’une croyance. Et le voyage de l’homme, s’il consent à se laisser guider, pénétrer par une autre puissance de lumière, est peut-être sans cesse de mourir à cette croyance, par amour de la lumière. Car seul celui qui meurt par amour ressuscitera.


                                                                         Gérard Signoret

                                                                                            Ancien membre du Musée d’Orsay


Pour la publication de ce texte dont l’auteur souhaite qu’elle soit intégrale ou rien, merci de nous soumettre le bon à tirer.

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L'Ange portant son tombeau
 jardin de l'abbaye de Quincy (Yonne) - été 2010

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« D’où sommes-nous venus, quel est l’ancêtre étrange
L’agreste, inconscient et lascif animal
Qui, séparant un jour le bien d’avec le mal,
Fit naître en nous l’angoisse et la pudeur de l’ange. »

(Anna de Noailles cité par Jean Rostand in « L’homme »)

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Les Anges sous la neige à Montgeroult (95) – hiver 2011

Les Anges sous la neige à Montgeroult (95) – hiver 2011

SAINT-MAUR et Jacques GRUSON


J’ai eu la chance de côtoyer Sam à partir du milieu des années 60. Il a été pour moi, et je pense pour tous les jeunes qui l’ont croisé dans ces années-là, un guide artistique précieux. Il avait déjà à cette époque un passé très riche de peintre sculpteur et également de grand voyageur, sans oublier ses écrits poétiques.
Étant voisin, je suis venu très régulièrement sur le bateau parler avec lui ou simplement le regarder travailler. Je me souviens de la mobilité de ses mains courant sur la matière quand il sculptait, de leur vivacité et de leur précision quand il dessinait ; c’était comme un mouvement de danse très beau à observer.
L’esprit sans cesse en éveil, il cherchait à exprimer toujours plus profondément. Un tableau, une sculpture, à peine terminés, le menaient immanquablement vers un autre tableau, une autre sculpture. Ses productions étaient en constante évolution.
Sam avait une qualité rare, sa très grande ouverture vers les autres et particulièrement vers les jeunes en devenir. Lorsque je suis venu timidement lui dire mes premiers textes présentables, il m’a tout de suite dit : - Je me doutais que tu écrivais. Il m’a écouté avec une très grande attention et un très grand respect et par la suite n’a cessé de m’encourager dans toutes mes entreprises.
J’ai un regret, ne pas avoir répondu à son invitation à m’initier à la sculpture.
Je garde de ma rencontre avec Sam le souvenir d’une très belle amitié.

Jacques Gruson
Ableiges - avril 2012

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Yann Guyot : « J’ai le souvenir de Jacques récitant ses contes avec ferveur devant un public d’amis ou simplement d’amateurs lors de festivals en plein air. Je ne résiste pas à l’envie de vous en livrer un (accompagné d’un pastel de l’auteur). C’est peut-être le plus emblématique, il m’est cher à plein d’égards et il présente ici l’avantage d’être court » :  



DISCRETION DANS LES AFFAIRES
(extrait des "Contes sauvages")

Trente sept degrés à l’ombre.
Un homme passe,
un homme seul,
un homme seul avec ses trente sept degrés de température.
Trente sept degrés dehors, trente sept degrés dedans,
un homme isothermique en somme ;
une espèce de grosse machine qui ne fournit pas de chaleur,
ni chaleur physique, ni chaleur humaine ; un homme isolé quoi !
isolé thermiquement, isolé socialement ;
un isobonhomme quoi !
un isobonhomme quoi ? un isobonhomme quoi ?
un isobonhomme tout court ;
tout court, tout court, tout court
puisqu’il ne mesure que trente sept centimètres,
un centimètre par degré.
Cet isobonhomme tout court de trente sept centimètres
gagne un centimètre par an,
issu d’une souche de zéro centimètre
il a donc trente sept ans ;
trente sept degrés,
trente sept centimètres,
trente sept ans.
Chaque année, groupée avec son centimètre,
l’isobonhomme tout court reçoit une dent.
Chaque année :
un degré, un centimètre, un an, une dent.
Trente sept degrés,
trente sept centimètres,
trente sept ans,
trente sept dents.
Les ans passent,
l’isobonhomme tout court vieillit,
vieillit par degrés,
il vieillit, il perd ses degrés,
il perd son temps,
il perd ses années,
perdant ses années, il perd ses dents ;
il en perd dix, il en perd vingt, il en perd trente,
il en perd tant et tant qu’il se trouve bientôt
réduit à sa plus simple expression d’être vivant :
un degré, un centimètre, un an, une dent.
C’est alors qu’il décide, incognito,
de déclencher une immense révolution mondiale.

Jacques Gruson

pastel de J.Gruson reproduit dans son recueil "Contes sauvages" édité à compte d'auteur en 1983

Témoignages : Indochine 1940 - 1946

Laqueur à cœur …

De l’Inde où il séjourne en 1939 Saint-Maur se retrouve mobilisé à Hanoï. Il restera plus de cinq années en Indochine dont une quinzaine de mois comme militaire.

Déjà pendant cette période il est en rapport avec des artistes tonkinois et notamment avec des artisans de la laque. Libéré par l’armée, ne pouvant rentrer en France, il s’installe près de Hanoï dans un modeste atelier où il dessine, peint et met au point des techniques personnelles pour la fabrication des laques.

Reprenant d’anciens procédés artisanaux il fabriquera lui-même ses panneaux supports, son papier à dessin, ses toiles à peindre et certaines de ses couleurs. Avec le concours de quelques amis qui s’intéressent à ses recherches, l’atelier des débuts regroupera bientôt une dizaine d’artisans locaux que Saint-Maur formera à ses conceptions esthétiques, il maîtrisera lui-même à la perfection tous les aspects du travail de la laque et en développera au maximum les possibilités artistiques modernes. Entre 1941 et 1945 il produira une centaine de panneaux laqués et paravents tandis qu’une fabrication d’objets décoratifs – vases, pots, plats – marqués d’une originalité qui en assure le succès, lui fournit quelques ressources financières indispensables.

Il peint des toiles de grandes dimensions où l’on retrouve ses théories sur l’Art Mural et transposera la plupart de ses études sur des laques avec le trait caractéristique de son dessin. Il s’intéresse à la lithographie et éditera plusieurs albums (Opéra, Etudes Grises, l’Ange mort) imprimés à la presse à bras sur du papier à la forme de sa fabrication.


A l’exception des toiles et des albums, une partie de cette production a pu être sauvegardée dans des collections privées et aussi grâce à l’intervention de la représentation du Gouvernement Français à Hanoï. En 1948 une exposition de ces œuvres ainsi rapatriées en France a été organisée à Paris au Musée Cernuschi.

Juin 1980


Affiche Expo. Cernuschi (archives Saint-Maur)

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La voie ...

J’ai fait la connaissance de Saint-Maur au cours de la dernière guerre mondiale. J’étais arrivé comme conseiller diplomatique du gouverneur général quelques semaines avant l’attaque japonaise à Pearl Harbour.  Lui, Saint-Maur, s’y trouvait. L’Art n’était pas le principal souci des militaires, des fonctionnaires, des industriels, des hommes d’affaires qui formaient la colonie française. De ce fait Saint-Maur y était un être isolé. Mais sa nature généreuse, enthousiaste et son goût de la recherche artistique n’en étaient en rien affectés. Il dessinait, il peignait, il inventait, il faisait des projets. L’usage de la laque avait été pour lui une découverte.

Souvent, j’allais le voir et nous parlions de ses derniers travaux, qu’il aimait commenter. Son optimisme congénital était, à lui seul, un réconfort. Je ne sais pas trop comment, financièrement, il se tirait d’affaire, mais il ne se plaignait jamais de rien.

Quand survint le coup de force du 9 mars 1945 ma maison de Hanoï fut pillée par les Japonais. Les œuvres de Saint-Maur, données ou acquises, disparurent. Il ne me reste donc aucun témoignage de son activité artistique en Indochine. Demeure le souvenir de l’ami fidèle et désintéressé chez qui le goût de la vie et l’amour de l’art s’entremêlaient, se confondaient.

Claude de Boisanger
Juin 1980

Laque (Collection Dauthy)

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Impressions …


Il a fallu peu de temps à Saint-Maur pour forcer le destin et devenir une personnalité de premier plan dans la société franco-annamite de cette époque troublée. Pour l’aider avec efficacité, le soulager des contraintes matérielles, je mis à sa disposition les ateliers de lithographie de l’imprimerie qui lui permirent de « travailler », d’imposer sa présence en réalisant des œuvres graphiques de haute tenue : il sut forcer l’estime des Annamites dont il comprenait les aspirations artistiques ; ainsi, en peu de temps, Saint-Maur fut, dans cette Indochine encore française, le maître incontesté d’une nouvelle école.


J’ai connu plusieurs Saint-Maur : Saint-Maur artiste, Saint-Maur érudit, mais aussi Saint-Maur profondément humain, pénétrant dans tous les milieux sociaux, définitivement adopté par les Annamites, aujourd’hui les Vietnamiens.

La disparition de Saint-Maur est cruelle, mais l’œuvre demeure, marquée par des qualités humaines exceptionnelles, pour les Vietnamiens, Saint-Maur fut un Français à part entière.

Marcel Burgard
6 juillet 1980

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Eternité de l’éphémère …


Je l’ai connu en 1942 à Hanoï à l’atelier qu’il avait établi à Yen Phu sur la digue du Fleuve Rouge.

On était par contre en Asie, dans un pays producteur de laque. Graphisme chinois et matière déjà traitée par les artistes vietnamiens : Pham Hau, Nguyen Gia Tri, telles restaient les voies ouvertes. Saint-Maur devait les explorer.

L’idéogramme, signe peu à peu détaché de la réalité, ne pouvait laisser tout d’abord de le fasciner. Allier, combiner, mêler l’abstraction occidentale de la figuration et la ligne symbolique de l’expression asiatique semble le fil conducteur de ses albums et dessins de cette période.

Pour lui, comme l’écrit Henri Michaux, le signe : « présentait une occasion de revenir à la chose, à l’être qui n’a plus qu’à s’y glisser dedans, au passage, expression réellement exprimante. »

Expression semblable dans une matière opaque, dure à maîtriser, exigeant de patient efforts manuels et une longue pratique technique, la laque, n’était pas du tout le signe d’une contradiction. Plutôt d’un dépassement.
Ch. H. Bonfils
Juin 1980

Le père Lotus - laque (coll. Fonde)