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Témoignages : Indochine 1940 - 1946

Laqueur à cœur …

De l’Inde où il séjourne en 1939 Saint-Maur se retrouve mobilisé à Hanoï. Il restera plus de cinq années en Indochine dont une quinzaine de mois comme militaire.

Déjà pendant cette période il est en rapport avec des artistes tonkinois et notamment avec des artisans de la laque. Libéré par l’armée, ne pouvant rentrer en France, il s’installe près de Hanoï dans un modeste atelier où il dessine, peint et met au point des techniques personnelles pour la fabrication des laques.

Reprenant d’anciens procédés artisanaux il fabriquera lui-même ses panneaux supports, son papier à dessin, ses toiles à peindre et certaines de ses couleurs. Avec le concours de quelques amis qui s’intéressent à ses recherches, l’atelier des débuts regroupera bientôt une dizaine d’artisans locaux que Saint-Maur formera à ses conceptions esthétiques, il maîtrisera lui-même à la perfection tous les aspects du travail de la laque et en développera au maximum les possibilités artistiques modernes. Entre 1941 et 1945 il produira une centaine de panneaux laqués et paravents tandis qu’une fabrication d’objets décoratifs – vases, pots, plats – marqués d’une originalité qui en assure le succès, lui fournit quelques ressources financières indispensables.

Il peint des toiles de grandes dimensions où l’on retrouve ses théories sur l’Art Mural et transposera la plupart de ses études sur des laques avec le trait caractéristique de son dessin. Il s’intéresse à la lithographie et éditera plusieurs albums (Opéra, Etudes Grises, l’Ange mort) imprimés à la presse à bras sur du papier à la forme de sa fabrication.


A l’exception des toiles et des albums, une partie de cette production a pu être sauvegardée dans des collections privées et aussi grâce à l’intervention de la représentation du Gouvernement Français à Hanoï. En 1948 une exposition de ces œuvres ainsi rapatriées en France a été organisée à Paris au Musée Cernuschi.

Juin 1980


Affiche Expo. Cernuschi (archives Saint-Maur)

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La voie ...

J’ai fait la connaissance de Saint-Maur au cours de la dernière guerre mondiale. J’étais arrivé comme conseiller diplomatique du gouverneur général quelques semaines avant l’attaque japonaise à Pearl Harbour.  Lui, Saint-Maur, s’y trouvait. L’Art n’était pas le principal souci des militaires, des fonctionnaires, des industriels, des hommes d’affaires qui formaient la colonie française. De ce fait Saint-Maur y était un être isolé. Mais sa nature généreuse, enthousiaste et son goût de la recherche artistique n’en étaient en rien affectés. Il dessinait, il peignait, il inventait, il faisait des projets. L’usage de la laque avait été pour lui une découverte.

Souvent, j’allais le voir et nous parlions de ses derniers travaux, qu’il aimait commenter. Son optimisme congénital était, à lui seul, un réconfort. Je ne sais pas trop comment, financièrement, il se tirait d’affaire, mais il ne se plaignait jamais de rien.

Quand survint le coup de force du 9 mars 1945 ma maison de Hanoï fut pillée par les Japonais. Les œuvres de Saint-Maur, données ou acquises, disparurent. Il ne me reste donc aucun témoignage de son activité artistique en Indochine. Demeure le souvenir de l’ami fidèle et désintéressé chez qui le goût de la vie et l’amour de l’art s’entremêlaient, se confondaient.

Claude de Boisanger
Juin 1980

Laque (Collection Dauthy)

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Impressions …


Il a fallu peu de temps à Saint-Maur pour forcer le destin et devenir une personnalité de premier plan dans la société franco-annamite de cette époque troublée. Pour l’aider avec efficacité, le soulager des contraintes matérielles, je mis à sa disposition les ateliers de lithographie de l’imprimerie qui lui permirent de « travailler », d’imposer sa présence en réalisant des œuvres graphiques de haute tenue : il sut forcer l’estime des Annamites dont il comprenait les aspirations artistiques ; ainsi, en peu de temps, Saint-Maur fut, dans cette Indochine encore française, le maître incontesté d’une nouvelle école.


J’ai connu plusieurs Saint-Maur : Saint-Maur artiste, Saint-Maur érudit, mais aussi Saint-Maur profondément humain, pénétrant dans tous les milieux sociaux, définitivement adopté par les Annamites, aujourd’hui les Vietnamiens.

La disparition de Saint-Maur est cruelle, mais l’œuvre demeure, marquée par des qualités humaines exceptionnelles, pour les Vietnamiens, Saint-Maur fut un Français à part entière.

Marcel Burgard
6 juillet 1980

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Eternité de l’éphémère …


Je l’ai connu en 1942 à Hanoï à l’atelier qu’il avait établi à Yen Phu sur la digue du Fleuve Rouge.

On était par contre en Asie, dans un pays producteur de laque. Graphisme chinois et matière déjà traitée par les artistes vietnamiens : Pham Hau, Nguyen Gia Tri, telles restaient les voies ouvertes. Saint-Maur devait les explorer.

L’idéogramme, signe peu à peu détaché de la réalité, ne pouvait laisser tout d’abord de le fasciner. Allier, combiner, mêler l’abstraction occidentale de la figuration et la ligne symbolique de l’expression asiatique semble le fil conducteur de ses albums et dessins de cette période.

Pour lui, comme l’écrit Henri Michaux, le signe : « présentait une occasion de revenir à la chose, à l’être qui n’a plus qu’à s’y glisser dedans, au passage, expression réellement exprimante. »

Expression semblable dans une matière opaque, dure à maîtriser, exigeant de patient efforts manuels et une longue pratique technique, la laque, n’était pas du tout le signe d’une contradiction. Plutôt d’un dépassement.
Ch. H. Bonfils
Juin 1980

Le père Lotus - laque (coll. Fonde)