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SAINT-MAUR et RAOUL ADAM


 
Sans titre - Saint-Maur (huile) - collection privée

« Mon maître Raoul Adam qui était mon professeur de dessin au lycée de Châteauroux venait m’apprendre sur le tas à peindre les paysages de la Creuse à chaque grande vacance, grâce à la générosité de mon père. Trois fois par jour mon maître et moi plantions nos chevalets dans les garennes surplombant Gargilesse. Peintre impressionniste je le devins sous le regard aigu de ce maître adorateur du soleil et des jeux de lumière éclaboussant tour à tour les granits bleus, les pailles dorées et les toits rouillés. Trois pochades par jour m’apprirent que les verts et les violets de l’aube ne sont pas composés comme ceux du couchant. Le public paysan du bistrot discutait de nos travaux le verre à la main et nous étions heureux comme des hommes libres.

Las ! Mon maître ne le fut pas très longtemps ; une bagarre d’atelier lorsqu’il était jeune lui avait coûté un œil, crevé par un pinceau, et mal énucléé cet œil absent le faisait souffrir au point qu’un jour de désespoir dû à la mévente de ces toiles et à son mal il mit fin à ses jours. Heureusement, j’avais eu le temps de lui communiquer une grande joie : la découverte de la Méditerranée. A bord d’une Bugatti sport que mon père m’avait acheté espérant me décourager de la carrière d’artiste maudit, nous partîmes pour Marseille. Jamais cet œil de capitaine au long cours n’embrassa de flots avec plus d’amour et d’éblouissement. Il était debout gesticulant dans le spider de la voiture, et tout à coup il s’effondra sous le choc de l’émotion : « Cher ami ! »  

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Les souvenirs muets circulaient entre ces hommes du cru et nous nous sentîmes un peu étranger. La nuit nous sépara. 
---- « Quel pays ! » murmura Adam qui disparaissait dans le brouillard à deux mètres devant moi. « On se croirait en l’an mille. »

J’avouerais que, enfant de la campagne, je ne me sentais pas aussi éloigné de la réalité campagnarde que lui, élevé « à la ville » comme l’on dit ici. La ville n’était que Châteauroux à quatre vingt kilomètres de là, tapie autour de la lourde cathédrale maçonnée par la bourgeoisie cabotine, flanquée d’une solide caserne et couvant de glorieux souvenirs napoléoniens. Pensionnaire durant des années, élève indiscipliné, fils de voltairien, baudelairien, j’étais constamment privé de sortie dominicale et devais recopier sans fin les devoirs de la célébrité de ce lycée, le brillant élève Jean Giraudoux. Paix à son âme et à celle bien abritée sous le haut de forme élimé du censeur Monsieur Duchâteau. Ce fut lui, cependant, qui dévoila à mon père ce que serait ma vie : « artistique », au grand dam de celui qui voulait faire de son fils un scientifique.

L’avenir était donc dans la science ! …. à Châteauroux, si près de Gargilesse, dont la plupart des habitants ignorait la présence.

Le soir après dîner, Adam et moi, rentrés dans notre petite chambre style George Sand, sous les poutres brunes apparentes et les rideaux des lits Napoléon III paysan, la bûche de châtaignier se consumant dans l’âtre, nous savions que nous étions irrévocablement des artistes. Lui, d’accord, évidemment, mais moi, pourquoi ? »

   Saint-Maur, extrait de « Malicorne » (1976 - inédit)

        La roulotte - Saint-Maur (huile) - collection privée

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René Dauthy (1907-1997), ancien haut fonctionnaire, et ami de Saint-Maur depuis le lycée, relate le cheminement de Saint-Maur vers l’Art Mural :

« Ayant noué leurs premiers liens de camaraderie au lycée de Châteauroux, où ils étaient tous deux pensionnaires, Samuel Guyot – qui prendra plus tard le pseudonyme de Saint-Maur – et René Dauthy s’en évadaient le jeudi après-midi pour suivre des cours de peinture, au bord de l’Indre, dans l’atelier de Raoul Adam, artiste de l’école impressionniste et professeur exigeant pour la qualité du dessin.
Alors qu’Armand Guillaumin, l’un des créateurs du paysage impressionniste français, avait été le peintre de Crozant, à la limite du département de la Creuse, Raoul Adam avait, en son temps, élu domicile à Chambon, petit village de la commune d’Eguzon, dans l’Indre, où il exerça son talent. Il était le peintre de la rivière dans sa partie sauvage, de ses paysans aussi dans leurs travaux agricoles, s’étant tout particulièrement attaché aux berges rocheuses couvertes de fougères, de buis et de bruyères jusqu’au pont des Piles…
Chassé de Chambon par les travaux de construction d’une usine de production d’électricité, dans les années 1920, Adam était venu à Châteauroux où il avait obtenu un emploi de professeur de dessin au lycée. Plus tard il devait s’installer à Thevet-Saint-Julien, puis à Nohant, et devenir peintre de la Vallée Noire…
Sous la direction de Raoul Adam, il (Saint-Maur)  avait poursuivi sa formation de peintre paysagiste, passant notamment un été à Saint-Benoît-du-Sault et sur les rives du ruisseau le Portefeuille, à une vingtaine de kilomètres d’Eguzon…
Peu à peu, sa propre personnalité se dégageait, et dans l’enseignement artistique qu’il lui donnait, Adam, au style puissamment impressionniste, laissait l’élève s’exprimer, avec les tonalités d’une palette toute autre que la sienne. Le professeur et l’élève eurent l’occasion d’exposer ensemble à La Châtre, ente autres artistes de la région, en 1928. Il y eut, en outre, au casino de Néris-les-Bains, une présentation d’œuvres du professeur et du peintre débutant. »

                   René Dauthy extrait de « Saint-Maur et l’Art Mural 1935-1949 »

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Article de l’Écho du Berry paru le 15/10/2008 :

 « Raoul Adam (1881-1948) est un peintre méconnu dans le val de Creuse. « Il a pourtant séjourné ici. Il s'est même marié à Eguzon et a été inspiré par les paysages de la vallée » indiquait Jean-Paul Thibaudeau, président de l'Aspharesd, lors du vernissage de l'exposition consacrée à ce peintre au musée de la vallée de la Creuse en. Natif de La Châtre, Raoul Adam s'est fait une spécialité de décrire dans ses tableaux la vie quotidienne du Boischaut. Il a également peint des paysages de la Vallée noire, des vues de la Creuse, de Saint-Benoît-du-Sault... L'exposition rassemble des huiles et des sanguines prêtées par le musée Bertrand de Châteauroux, l'association des amis de Raoul Adam, sa descendance, et d'heureux propriétaires privés locaux. On y voit des vendanges dans le pays de La Châtre, des scènes de labour, des paysages et un tableau un peu à part, avec une touche plus impressionniste. Il s'intitule Vallée de la Creuse. Son propriétaire, qui l'a toujours vu accroché dans sa salle à manger, est un peu ému qu'il fasse partie d'une exposition. La commune d'Eguzon a elle-même acquis une toile d'Adam, Le marché à Eguzon, lors d'une vente aux enchères. Et c'est d'ailleurs à cette occasion que l'idée d'une exposition est née. 
Pourquoi Raoul Adam est-il resté relativement méconnu et est-il tombé dans l'oubli ? « Parce qu'il avait, paraît-il, un caractère épouvantable, » explique avec humour Jean-Paul Thibaudeau. Jusqu'au 9 novembre, le public peut aller découvrir une quarantaine de tableaux, au musée d'Eguzon. « Et si jamais vous avez des renseignements sur Raoul Adam, n'hésitez pas à nous en faire part » conclut Jean-Paul Thibaudeau. » 
  
Raoul ADAM, « Marché à ÉGUZON » 1903
Huile/toile 130 x 195cm.
 Propriété de la Municipalité d'Éguzon-Chantôme

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Raoul Adam (1881-1948), peintre des paysages de la Vallée Noire et de la Vallée de la Creuse. La demeure, qui lui servit d'atelier de 1939 à 1947, est actuellement une salle d'exposition sur la place de Nohant. (Entre-temps malheureusement son atelier avait brulé et une grosse partie de son œuvre était partie en fumée.)

Né à La Châtre (Indre) le 22 juillet 1881, après des études à Paris, il suit les cours des Arts décoratifs. Il fréquente les ateliers de Cormon et de Gustave Colin. La vallée de la Creuse inspire ses premiers tableaux berrichons. Il s’installe dans la Vallée noire dont il peint  les paysages et la vie des campagnes. Il fait construire un atelier à Nohant où il s’éteint le 12 octobre 1948.