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Saint-Maur et Nadine Lefébure

                                  Du Tao à la Sculpture du Vide

     Au début d'un automne ensoleillé, en 1950, apparut un jour au vieux port de Cannes un ancien chasseur de sous-marin, le Tao, vedette d'une vingtaine de mètres, qui vint se placer en bout de file des bateaux amarrés au vaste quai désert qui, à cette époque, s'avançait en pleine eau.

    Saint-Maur, maître après Dieu à bord - mais quels dieux ?... Païens, chrétiens, orientaux ? - décide que le Tao hivernera là. Passagers amis et amis passagers débarquent, s'égrènent, finies les vacances, chacun rentre chez soi. Le commandant aussi : ce bateau, il nous le laisse en garde un, deux hivers durant, d'abord à moi, puis à ma sœur et son très jeune fils ensuite.

    J'y vis, nous y vivons, d'accord. Mais le Tao est habité - comme on dit “habité par une pensée” - par les œuvres de Saint-Maur : contre les parois  de l'atelier flottant, il a rangé les toiles témoins de ses recherches de l'époque. Pour s'évader du trait parfait de ses laques indochinoises - il n'y a pas bien longtemps qu'il est rentré d'Orient - il a voulu  casser la figuration, s'attaquer à un certain cubisme. En fait, Il élabore déjà le jeu des formes géométriques simples qui, jusqu'au bout, lui seront chères.

    Est-ce ce bateau immobile et pourtant mouvant qui le poursuit? Combien idéale et fonctionnelle est la coque de toute embarcation! N'est-ce pas ce Tao  qui hante ses rêves et ses regrets, qui le fera glisser, en cette décade, vers ce qu'il décrit comme "la sculpture du vide utilisé". Autrement dit, de ce vide, il fait un matériau. 

    Ultérieurement, visitant son atelier de la rue Paul Valéry à Paris, j'y découvrirai des volumes blancs à la fois compacts et fluides - femme assise, oiseau en vol - qui tournent sur un pivot. Or la sculpture réelle n'est pas le visible - ce plâtre ou cette pierre - mais l'invisible, l'air qui se coule, se roule et se moule dans les creux d'une masse épurée, ça et là évidée. En  mer, les "œuvres vives" du navire sont cernées par l'eau. Ici, elles le sont par la grâce du sculpteur. Si d'aucuns donnent à voir, Saint-Maur force à imaginer...
   
   Sur une longue table, s'alignent des godets de toutes couleurs : parallèlement Saint-Maur recherche la formule chimique qui lui permettra de travailler ces nouvelles matières dont on ne parle guère encore, dites "plastiques". Beau mot pour un sculpteur, mot qui pour lui gardera toujours son sens noble. Il en transformera la substance qui deviendra alors transparences de toutes nuances. Ayant dompté le vide, il façonne les blocs éclatés, polis, lumineux, qui seront les joyaux de cette première période de travail sur ces "pierres de synthèse" - ainsi aurais-je aimé qu'il les appelât - qu'il prit le parti artisanal de modestement dénommer Polybéton.

    Polybéton devint ultérieurement le nom de la grande péniche sur le pont de laquelle il bâtit, selon les mêmes règles d'or que ses œuvres d'art, une "sculpture habitable" avec vue panoramique sur la Seine et les arbres des berges, espace si vaste et si bien structuré qu'il formait en même temps, avec ses niches, son praticable et ses souples agencements façonnés de l'intérieur, salon, bibliothèque, salle d'exposition. Un lieu privilégié où il faisait bon s'attarder, un lieu unique qui restera à jamais lié au souvenir et à l'image de son inventeur.
                                                                  Nadine Lefébure - 1980

 

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à propos de SAINT-MAUR - juin 2014 >>>                         
   
A l’occasion du Festival international de Poésie Nador, ville méditerranéenne du nord Maroc, les Editions Caractères viennent de rééditer « à l’identique » un ouvrage de poèmes en prose, Partances, de Nadine Lefébure, illustré par Saint-Maur. L’accueil des Marocains envers leurs invités francophones fut des plus chaleureux. Trois journées durant, se poursuivirent des lectures en arabe et en français au grand théâtre du Centre Culturel de Nador.

Christian Deudon, metteur en scène et poète - qui anime tous les mois à Paris les après-midi du « Territoire du Poème » - et Nadine Lefébure donnèrent à entendre divers extraits de Partances.

        Précisons que Nadine Lefébure avait été un des membres de La Main à Plume, seul groupe de jeunes poètes et peintres qui était parvenu à maintenir le Surréalisme vivant sous l’Occupation.

         Partances fut en grande partie écrit en 1950- 51, à bord du TAO, le bateau de Saint-Maur, resté sous la garde de Nadine deux hivers durant à Cannes, seule au bout d’un quai alors déshérité du Vieux Port. Cet ouvrage est en grande partie une transposition poétique de cet exil marin. (Certains textes s’intitulent : Haute partance, Contre-partance, Partance en haute mer…)

         Lorsque le livre parut une première fois, en 1953, Saint-Maur l’illustra de six grands dessins : un visage d’homme, un autre de femme, se transforment peu à peu en paysage, jusqu’à atteindre les limites de l’abstrait. On retrouvera ces œuvres de Saint-Maur dans cette nouvelle édition.
   
         Hasard du calendrier : en ce printemps 2014, se déroulait au mois de Juin Le Marché de la Poésie, Place Saint-Sulpice à Paris. Au vaste stand des Editions Caractères, Christian Deudon, Nadine Lefébure et Catherine Jarret, comédienne, ont dit un choix de textes de Partances, devant un public intrigué, surpris et comme envouté…                                     
                                                                           Nadine lefébure


Partances est disponible au prix de 15€.
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