J’ai eu la chance de côtoyer Sam à partir du milieu des années 60. Il a été pour moi, et je pense pour tous les jeunes qui l’ont croisé dans ces années-là, un guide artistique précieux. Il avait déjà à cette époque un passé très riche de peintre sculpteur et également de grand voyageur, sans oublier ses écrits poétiques.
Étant voisin, je suis venu très régulièrement sur le bateau parler avec lui ou simplement le regarder travailler. Je me souviens de la mobilité de ses mains courant sur la matière quand il sculptait, de leur vivacité et de leur précision quand il dessinait ; c’était comme un mouvement de danse très beau à observer.
L’esprit sans cesse en éveil, il cherchait à exprimer toujours plus profondément. Un tableau, une sculpture, à peine terminés, le menaient immanquablement vers un autre tableau, une autre sculpture. Ses productions étaient en constante évolution.
Sam avait une qualité rare, sa très grande ouverture vers les autres et particulièrement vers les jeunes en devenir. Lorsque je suis venu timidement lui dire mes premiers textes présentables, il m’a tout de suite dit : - Je me doutais que tu écrivais. Il m’a écouté avec une très grande attention et un très grand respect et par la suite n’a cessé de m’encourager dans toutes mes entreprises.
J’ai un regret, ne pas avoir répondu à son invitation à m’initier à la sculpture.
Je garde de ma rencontre avec Sam le souvenir d’une très belle amitié.
Jacques Gruson
Ableiges - avril 2012
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Yann Guyot : « J’ai le souvenir de Jacques récitant ses contes avec ferveur devant un public d’amis ou simplement d’amateurs lors de festivals en plein air. Je ne résiste pas à l’envie de vous en livrer un (accompagné d’un pastel de l’auteur). C’est peut-être le plus emblématique, il m’est cher à plein d’égards et il présente ici l’avantage d’être court » :
DISCRETION DANS LES AFFAIRES
(extrait des "Contes sauvages")
Trente sept degrés à l’ombre.
Un homme passe,
un homme seul,
un homme seul avec ses trente sept degrés de température.
Trente sept degrés dehors, trente sept degrés dedans,
un homme isothermique en somme ;
une espèce de grosse machine qui ne fournit pas de chaleur,
ni chaleur physique, ni chaleur humaine ; un homme isolé quoi !
isolé thermiquement, isolé socialement ;
un isobonhomme quoi !
un isobonhomme quoi ? un isobonhomme quoi ?
un isobonhomme tout court ;
tout court, tout court, tout court
puisqu’il ne mesure que trente sept centimètres,
un centimètre par degré.
Cet isobonhomme tout court de trente sept centimètres
gagne un centimètre par an,
issu d’une souche de zéro centimètre
il a donc trente sept ans ;
trente sept degrés,
trente sept centimètres,
trente sept ans.
Chaque année, groupée avec son centimètre,
l’isobonhomme tout court reçoit une dent.
Chaque année :
un degré, un centimètre, un an, une dent.
Trente sept degrés,
trente sept centimètres,
trente sept ans,
trente sept dents.
Les ans passent,
l’isobonhomme tout court vieillit,
vieillit par degrés,
il vieillit, il perd ses degrés,
il perd son temps,
il perd ses années,
perdant ses années, il perd ses dents ;
il en perd dix, il en perd vingt, il en perd trente,
il en perd tant et tant qu’il se trouve bientôt
réduit à sa plus simple expression d’être vivant :
un degré, un centimètre, un an, une dent.
C’est alors qu’il décide, incognito,
de déclencher une immense révolution mondiale.
Jacques Gruson
pastel de J.Gruson reproduit dans son recueil "Contes sauvages" édité à compte d'auteur en 1983