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Jean-Marc Campagne


Extrait du Petit journal de l’exposition Saint-Maur
Musée Vivenel de Compiègne (9 août – 22 août 1980)

Quai Baudelaire

Sam, c’était davantage qu’un ami de jeunesse ; c’était un ami-copain avec qui nous partagions dans la joie, fougueusement, nos espoirs, nos confidences et nos délires.

La roulotte (huile sur toile) - c) YG

Lui, vers 1930, avait amarré son « Boucanier » dans l’île Saint-Louis, quai d’Anjou, sous les fenêtres de l’Hôtel Lauzun. C’était sa période « fauve » (qu’atteste l’un des plus rudes portraits que l’on ait fait de moi) et l’époque de ses premiers contacts avec le Paris des arts.

Moi, jeune journaliste à l’Agence Havas (actuellement A.F.P.), je partageais, dans Beaux-Arts de Wildenstein, une rubrique avec le cher André Salmon, qui patronnait mes débuts récents dans la critique.

Étincelles ! Les soirées arrosées de vin blanc sur la péniche du quai d’Anjou (on le nommait le quai Baudelaire) étaient inexprimables ! Plusieurs groupes de jeunes, ivres d’exister, y confrontaient leurs rêves et leurs élans qui prolongeaient nos nuits, souvent, jusqu’aux lendemains blêmes. On refaisait le monde … Ensemble nous eûmes un grand projet.

Il se réalisa en juin 1935, rue La Boétie, dans un vaste local dont Robert Delaunay avait décoré l’entrée. Le premier Salon d’Art Mural ouvrait ses portes sur une exposition d’une ampleur jamais atteinte à Paris. Eugenio d’Ors, son président, en définissait l’esprit en guise de manifeste dans le journal-catalogue ou voisinaient, entre autres, les signatures d’Ozenfant, de Gleizes, de Mario Tozzi, puis celles de Jean Cassou, Courthion, Fiérens, Pierre Vago (pour l’architecture), Vantongerloo (pour le groupe Abstraction Création), Saint-Maur (sur les pionniers de l’Art Mural) et moi-même (rédacteur en chef !), qui assurais un large compte-rendu de ce premier Salon.

Le Son
(étude pour mural extérieur) - c) DR

La résonnance de cet évènement fut assez extraordinaire, surtout dans les milieux d’avant-garde. Il est vrai que s’y produisaient notamment Jacques Villon, Léger, Kandinsky, Bissière, Prampolini, Reth, Lhôte, Léonor Fini, Gandouin (une révélation d’alors), le musicaliste Valensi, Séligmann, Kolos Vari, sans parler des tapisseries de Dufy, de Lurçat, de Gromaire, des vitraux de Gruber. Puis des jeunes. J’en passe.

Nous avions réussi, en outre, à grouper un fastueux comité d’honneur où les noms de Malraux, Severini, Bonnard, Signac et Derain se rencontraient avec ceux de Laurens, Zadkine, Despiau, Jean Carlu, Chagall, etc… J’allais oublier le délicieux Max Jacob, à qui j’avais pu « extorquer » un poème de circonstance. Ces prouesses, ce feu d’artifice furent brusquement éclipsés par les feux de la seconde guerre mondiale. Une vingtaine d’années passèrent…


Cosmique (polybéton) - circa 1959
                                  
Saint-Maur retrouvé, me parut inchangé. Son œil vif et rapide, la jeunesse irradiante de son esprit rendaient anachroniques son pavillon de cheveux blancs.

C’était un grand peintre architectural et un sculpteur de nuées sachant équilibrer l’immatérialité des formes avec la matérialité de l’espace. Sa redécouverte, son actualité novatrice sont inscrites dans les astres…

Jean-Marc Campagne
Juillet 1980