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SAINT-MAUR et l'Ange


Si j’étais l’aile d’un Ange,
l’aile, duvet caparaçonné,
l’aile tiède ou coupante,
la porte ouverte ou fermée
d’un ciel infernal ou évident,
l’ouverture entrebâillée d’un destin,
la moitié visible de l’invisible,
je chercherais sans cesse l’aile-sœur.

A nous deux,
nantis des apparences,
nous irions en toute certitude
jouer à l’Ange des multitudes.

Saint-Maur "L'Art Vénusien" (1970 inédit)
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  L’Abbaye de Quincy
accueille les « Anges » de Saint-Maur (1906-1979)

 le grand tombeau blanc


Les Anges métalliques de SAINT-MAUR sont tirés d’un recueil de dessins intitulé l’Ange. Mais comment sont nés ces dessins dont la fluidité évoque la calligraphie et dont la forme rappelle les caractères chinois ?

SAINT-MAUR connaît bien l’histoire de l’art et il se trouve qu’il a vécu au Maroc et en Chine. Pourtant la genèse de l’Ange procède d’une lente maturation sur 25 ans. En 1971, alors qu’il est cloué sur un lit d’hôpital, il voit les murs de sa chambre s’habiller de lignes d’ombre et des idéogrammes se mettre à danser devant ses yeux. SAINT-MAUR remplit un cahier de dessins dans une nuit de fulgurance.

Pour s’abstraire des conventions propres à l’écriture, SAINT-MAUR élabore un alphabet personnel compréhensible par tous les peuples et pour donner plus d’ampleur à l’Ange, il réalise des sculptures en fer de grande dimension. Ces Anges ont été présentés sur le plan d’eau des Jardins de Drulon en Berry (2001), puis exposés dans le parc du Prieuré de Mayanne dans la Sarthe (2004). Ils furent également figurants pour le ballet de l’Ange, en Avignon et au TEP, avec les danseurs de l’Opéra de Paris.

La série des « Anges » a subi des ans l’irréparable outrage. Pas totalement irréparable, si l’on maîtrise les techniques adaptées, dispose du matériel et… de la place nécessaire. La commune de Cruzy-le-Châtel, dans une démarche culturelle et patrimoniale, a proposé aux ayants droit de SAINT-MAUR d’entrer en contact avec les artistes de la forge-musée Marlin-Veillet.

Ces derniers ayant accepté le challenge, les héritiers de Saint-Maur ont confié les œuvres à la municipalité dans le double but d’en conduire la nécessaire restauration à la forge, puis une fois les Anges ayant retrouvé leur superbe, de les exposer en un lieu idoine, digne et puissant. La forge, l’atelier de menuiserie sont des lieux typiques de l’histoire de l’artisanat français. Ils perpétuent, façons et traditions, justesse du geste, précision du coup d’œil.

Ainsi, c’est à double titre que la forge, grâce aux artisans qui l’animent (avec maîtrise et passion) participe à toutes les manifestations patrimoniales touchant la commune de Cruzy-le-Châtel. Dès les beaux jours, l’endroit s’anime, les projets sont débattus et les restaurations se succèdent avec bonne humeur et compétence.

Pour le lieu, nul n’était plus qualifié que l’abbaye de Quincy, qui, dans son écrin préservé de vallons, allie chaque année la modernité au charme indicible, mais combien captivant, de ses constructions.

     Yann Guyot - texte de présentation pour l’exposition de Quincy (été 2010)

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 Dans le prieuré de Mayanne (Sarthe) 2004

 Dans le prieuré de Mayanne (Sarthe) 2004
Dans le prieuré de Mayanne (Sarthe) 2004

 Les ailes de l’Ange -  prieuré de Mayanne (Sarthe) 2004

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Les  Anges de Saint-Maur



Tout est lumière. La matière la plus dense est lumière. Le noir même est lumière. La science moderne depuis Einstein sait cela, comme l’ont su bien avant elle, par expérience intérieure, tous les grands êtres d’esprit, des sages hindous aux mystiques chrétiens. La densité des formes, le spectre des couleurs, le seuil entre le visible et l’invisible, tout est question de fréquences lumineuses selon une gamme dont la source est la lumière blanche, vibration pure imperceptible aux sens physiques humains. 
Il y a en l’homme, à partir de sa base physique, un appel à s’élever, à toucher des fréquences de plus en plus hautes (jusqu’à l’extase, la joie, la béatitude), à être réabsorbé par la source de lumière, qui serait l’Amour que nous cherchons tous. L’homme est le lieu de cet appel, qu’il en soit conscient ou non. Cet appel est son voyage, un voyage vers son énigme, son joyau.
Avec la conscience vient l’intensité de l’appel, comme une nostalgie irrépressible de l’origine et  de l’avenir. C’est le point d’un seuil où, à l’appel qui monte, répond la première présence invisible qui descend : l’ange, flux de lumière qui guide l’homme au-delà et au-dedans de lui-même. L’ange est pour l’homme un médiateur, un passeur vers la rencontre de son âme.
 Les Anges de Saint-Maur sont le fruit d’une quête intime à l’artiste et sa tentative, pour nous, de faire signe vers l’ange en nous. Ces sculptures, de structure nécessairement imposante et aérienne (puisque l’ange est la première dimension du Ciel qui s’impose à nous, au commencement du retour à soi), ces sculptures sont des " écritures dans l’espace ". C’est-à-dire qu’elles ne sont pas, en tant qu’objets, leur propre but, mais signent et rythment le vide du ciel d’une certaine manière afin de nous conduire à éprouver en nous-mêmes la présence de l’invisible, la coulée d’énergie lumineuse dont nous sommes secrètement tissés. Il faudrait  regarder vraiment ces écritures, ces rythmes, s’en imprégner comme d’une musique, puis fermer les yeux, les laisser soudain s’effacer et suivre en soi, ressentir les sillages d’un silence. Car c’est du silence que naît la véritable vision, la promesse de lumière.
Chaque sculpture, chaque forme montre un visage de l’ange qui, essentiellement, est sans visage. Il y a l’ange qui indique la question, l’appel et le pas de l’homme; l’ange qui esquisse le couple intérieur masculin-féminin en chacun et chacune de nous, couple à partir duquel nous touchons l’unité de l’âme; l’ange aussi qui porte notre tombeau comme le symbole d’une transformation possible, au sein de notre existence même, du corps physique mortel en Corps de Gloire immortel. L’ange de la mort est l’ange de la résurrection. Il dit à l’homme, d’une voix qui ne s’entend que dans le lac du cœur, que sa naissance biologique n’est qu’une porte vers sa véritable naissance, la naissance à la souveraineté de l’âme.
Du point de vue de l’ange, mourir n’est qu’une croyance. Et le voyage de l’homme, s’il consent à se laisser guider, pénétrer par une autre puissance de lumière, est peut-être sans cesse de mourir à cette croyance, par amour de la lumière. Car seul celui qui meurt par amour ressuscitera.


                                                                         Gérard Signoret

                                                                                            Ancien membre du Musée d’Orsay


Pour la publication de ce texte dont l’auteur souhaite qu’elle soit intégrale ou rien, merci de nous soumettre le bon à tirer.

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L'Ange portant son tombeau
 jardin de l'abbaye de Quincy (Yonne) - été 2010

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« D’où sommes-nous venus, quel est l’ancêtre étrange
L’agreste, inconscient et lascif animal
Qui, séparant un jour le bien d’avec le mal,
Fit naître en nous l’angoisse et la pudeur de l’ange. »

(Anna de Noailles cité par Jean Rostand in « L’homme »)

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Les Anges sous la neige à Montgeroult (95) – hiver 2011

Les Anges sous la neige à Montgeroult (95) – hiver 2011