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SAINT-MAUR et l'abstraction





Premiers pas vers l’abstraction

Aux portes de l’abstraction - SAINT-MAUR - 1948 (huile 28 X 47 cm)



Une porte s’ouvre et voici l’homme et la femme sur le devant de la scène.

La porte noire baille et clôt sur le noir infini, absolu.

L’humain, trop pur se débat pour exister blanc sur blanc aux antipodes d’un cadre strict.

Unis, dansants, l’homme et la femme tournent sur eux-mêmes et leur union fait jaillir les couleurs :

* Au sol, un vert végétal, un tapis de mousse, rassurante certitude, terrestre quadrature, pour accueillir leurs pieds nus.

* Au centre de gravité, dans leurs reins, s’exprime toute leur passion. Leur union n’est pas scellée, elle est souple et s’expanse, tout en arrondis, dans les violets.

* En haut les jaunes, les énergies couleur de feu. Eclairs, traces de l’action. Manifestations de la transmutation du plomb en or.


Cette trinité symbolique modélisée par SAINT-MAUR à son retour du Vietnam en 1946, apparaît pour la première fois dans ce petit tableau.

Cette transformation de la palette de SAINT-MAUR sera théorisée dans sa sculpture-manifeste : l’Objet à penser (http://www.sam-saint-maur.com/pdf/leonardo.pdf). Sorte de svastika à trois branches, cette œuvre combine dans un échange perpétuel et tournant les trois états de l’âme :

La méditation, la réflexion, la raison, proposées comme une base cernée d’angles droits, c’est le domaine de l’homme - couleurs froides > gamme des bleus, des verts.

La sensation, l’émotion, traduites tout en rondeur, souples, expansives, c’est le domaine de la femme - couleurs de l’amour > gamme des rouges, rosés, violets.

L’action, la création, terrain accidenté, brisures, surprises, trait de génie, rai de lumière.
couleurs de lumières > gamme des jaunes, des orangés.


Méditation – Sensation – Action
ou encore
Masse - Sensibilité - Energie :
Voici les trois atomes qui sont les relais indispensables à l’harmonie du vivant.
Cette architecture moléculaire, décelable dans tant d’œuvres de SAINT-MAUR,
dessins, tableaux, sculptures, architectures va le conduire à la sculpture.



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Ce petit tableau, tout limité dans son périmètre, dégage paradoxalement une grande muralité.
Il marque un passage. C’est en quelque sorte le gué entre la figuration et l’abstraction.

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SAINT-MAUR était un artiste au sens plein du terme, un chercheur se nourrissant des grands textes, de la tragédie grecque, de la poésie. Il écoutait, il scrutait les mouvements de l’histoire, les avancées scientifiques (l’optique, l’atome, l’espace…) Tout ceci transparaît dans son œuvre.

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"Entre l'ombre et la lumière, l'homme dramatise l'instant" (Saint-Maur)
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Comme une ombre portée qui trahit la présence humaine, la substantifique moelle, tricolore au gré des états de l’âme humaine, surgit d’entre les gris. Cette petite scène qui se joue derrière une porte n’a rien d’anodine. C’est la comédie humaine ici théâtralisée. Le couple dansant, uni par l’amour s’expose dans sa gloire mais déjà la mort est là. L’arc en ciel témoigne de leur passage. Les gris s’accumulent et déjà le temps change. La porte se referme et tombe le rideau. Le bonheur est fugace ; ici en restera la trace.

HELOÏSE et ABELARD par SAINT-MAUR


L’œuvre présentée est une maquette réalisée par SAINT-MAUR dans les années 70. Ce travail était un projet de 1% pour la cité nouvelle construite par l’architecte Dubrulle à Argenteuil. L’œuvre monumentale, en bronze, intitulée Héloïse et Abélard, devait être installée sur la place du même nom.




Héloïse et Abélard (maquette/hauteur 19cm) c)DR




Gérard Signoret a conçu et réalisé une plaquette (reproduite ci-dessous) lors d’une exposition ultérieure :

Lisez l’histoire d’Héloïse et Abélard dans les cinq lettres d’eux qui en sont la trace véritable et rien d’autre. C’est l’unique manière de la rencontrer, de vous y confronter et qu’elle ébranle en vous, même secrètement, ce qui doit l’être. Car tout ce qui ne touche pas notre propre vie ne nous sert à rien. La culture est une croûte que l’art ne cesse de pourfendre afin que nous fassions un pas vers notre seul royaume : en nous, là où se tient le mystère de tout royaume, du Royaume.


«Lui pour l’amour de Dieu
Elle pour l’amour du Dieu en lui. »

Milton


La danse des séparés


Lui, l’orateur puis l’abbé, si beau, si brillant, persécuté de tous (professeurs et disciples, philosophes et théologiens, laïcs et moines), trahi après l’avoir secrètement fécondée et épousée, châtré pour l’avoir choisie corps et âme, elle la jeune fille frémissante de sève, folle d’abandon jusqu’à trouver « plus précieux et plus digne d’être appelée sa putain que l’impératrice du maître de l’Univers. » Pour lui encore, non pour Dieu, elle entre après le scandale au monastère d’Argenteuil où, dans la torture de sa solitude, elle mène une vie exemplaire. Lui poursuit une errance cruelle, avec « au dehors les combats et au-dedans la peur », qu’il raconte dans sa lettre à un ami dont elle aura un jour connaissance. Alors commence leur dialogue épistolaire fulgurant, quatre lettres en tout comme quatre éclairs où leur vie se crie dans toute sa densité et sa complexité, et se retire. Elle est le feu émotionnel pur du cœur et il répond par la haute intelligence froide ; elle est l’ombre humaine du cœur et il répond par la flamme dépassante de l’esprit. C’est tout le mouvement des vers de Milton qui se lit ici, la pierre d’angle de la passion occidentale, dont nous vivons, huit siècles plus tard, Dieu s’étant retiré du monde naturel des hommes, la dernière substance, sous son mode souvent névrotique. Car l’Occident, Rimbaud le disait déjà, est vieux. La religion chrétienne aussi l’Homme tout court est vieux ! Etrangement, en leur ultime jeunesse, Héloïse et Abélard nous le montrent, prisonniers l’un et l’autre, à l’intérieur d’eux-mêmes, d’une humanité et d’une religion blessées et blessantes, séparant le corps et l’esprit, le Ciel et la Terre, la vie de la vie, mais qui pressentent à leur insu et cherchent sans relâche l’Innocence du Grand Jeu, l’amour qui sera la mort de tout ce théâtre, un autre Homme qui a nom l’Enfant Divin. Merci d’avoir été les amants de notre crépuscule, pour précipiter l’aube.

Gérard Signoret





Mouvement de vie


Je commence ma carrière de peintre au lycée, dans le Berry, comme impressionniste avec mon maître Raoul Adam, qui me fit découvrir la nature par mes yeux et mes yeux seulement.

Je m’installe à Paris à 20 ans à bord d’une péniche et je peins des natures mortes dans une technique que je qualifierais d’expressionniste. Me lançant dans de très grandes compositions je ressentis le besoin de m’appuyer sur une architecture secrète. C’est alors que je découvris que tous les grands maîtres l’avaient fait avant moi. Les belles ruines sont celles des palais dont l’architecture était parfaite. J’évite l’intellectualisme en peinture et me lance vers l’art mural que j’exige à deux dimensions et non pas à trois dimensions. Je crée d’ailleurs le Salon de l’Art Mural et je propose la loi du 1% pour inciter les architectes à commander des œuvres murales et monumentales. Malheureusement la plupart des artistes ne surent réaliser ce genre de travail tant ils étaient habitués à la cuisine de la peinture de chevalet.

Des Indes où je suis début 1939, la guerre me conduit en Indochine où je deviens laqueur. L’étude de l’art chinois et l’étude de la laque influencèrent ma création. Le dessin chinois étant métaphysique il suffit à exprimer tous les états d’âme avec un seul trait ce qui est le summum en art graphique, et qui devint ma loi.

Mon retour en 1946 fut tragique parce que, outre que j’avais perdu mon père, je n’étais plus attendu. Je me réfugiai donc dans mon art. J’eus de nouveau soif de grandes toiles et j’exécutais de grandes peintures à deux dimensions dite période géométrie lyrique, mais encore figurative. J’abordai l’abstrait lyrique, puis constructiviste, qui me conduisit à la sculpture.

Nous sommes en 1949 et ma découverte d’un matériau de synthèse favorise ce mode d’expression. Je me libère rapidement de la sculpture ronde-bosse, pour aboutir à l’art du vide utilisé mais qui est encore trop statique. Grâce au dessin chinois j’élaborais une sculpture linéaire qui suggère le mouvement dite écriture d’espace. J’appréhendais le cosmos à l’aide sculptures planes largement perforées, en marche grâce à la structure interne du dessin. Je n’oublie pas pour autant que je suis un peintre et ma sculpture est polychrome. J’établis alors mes lois du rapport formes-couleurs afin d’aboutir à la polychromie rationnelle de mes formes. En 1968 je fis ma série des tombeaux en marche. Ce sont des petits cercueils munis de pattes et parfois d’ailes afin d’exprimer cette idée que la mort n’est qu’un passage en marche vers l’Eternité. Dominant cette idée de la mort surgit la notion du vide.

Le vide c’est aussi la négation de la matière, mais mon vide n’existe que limité par la matière, c’est une dialectique du plein et du vide dans laquelle le vide apparaît comme étant l’Esprit.

Toute ma vie de sculpteur fut une lutte avec la matière pour en dégager l’esprit. Finalement j’ai abordé le vide de front et je l’ai simplement limité dans l’espace.

Saint-Maur